mercredi 11 avril 2018

Quel avenir pour notre tissu scolaire en Périgord Nontronnais?


  (par Alain Dionneau- Busserolles)

Vice-Président de la Communauté de communes du Périgord Nontronnais, en charge de la politique Enfance-Jeunesse, Pierre Peyrazat me reçoit dans sa mairie d’Augignac. Il m’accueille dans la salle aux murs blancs et nus du Conseil municipal, attablé auprès des dossiers au menu de notre rencontre. La retranscription de notre entretien se fera en deux parties ; d’une part la politique communautaire d’accueil de l’enfance et de la jeunesse, et d’autre part les enjeux de l’évolution du tissu scolaire dont il assure la concertation entre ses collègues des autres communes du territoire.

QUEL AVENIR POUR NOTRE TISSU SCOLAIRE EN PERIGORD NONTRONNAIS ?
 
La compétence scolaire ne relève pas de la Communauté de communes mais directement des Communes, alors quel est votre rôle ?
 
Tout à fait et c’est bien en tant que maire, que j’essaie de faciliter le dialogue entre les élus locaux et l’Inspection Académique.

Aujourd’hui où en sommes-nous ?
 
L’Inspection Académique a affirmé en réunion des maires sa volonté qu’il n’y ait plus d’école avec 1 seule classe et que les RPI (Regroupement Pédagogique Intercommunal) soient constitués d’au moins 4 classes concentrées dans un seul lieu. Il s’agit également de favoriser le cycle 3 en mettant les CM1, CM2 et 6ième au collège. Il faut dire que les problèmes démographiques que nous avons connus en primaire arrivent maintenant au collège. Les petits collèges sont donc menacés, le Conseil départemental, dont c’est la compétence, souhaite préserver un maillage rural, d’où la réfection actuelle du collège de Piégut (aujourd’hui 144 élèves). La volonté de l’Etat n’est pas pensée par rapport aux enfants mais avant tout aux contraintes économiques, elle est de centraliser au maximum les moyens humains et donc de créer des écoles de secteurs. Ainsi, la réforme des nouvelles classes de CP à 12 élèves ça pourra se faire sur les grosses écoles, comme à Bergerac, mais c’est le tissu scolaire de notre milieu rural qui en pâtit ! Chez nous le dispositif qui prévoyait plus de maîtres que de classes était vraiment positif mais il a été supprimé au profit de ces nouvelles classes de CP dans les grosses écoles.

Et ce scénario-là appliqué au territoire communautaire ça donnerait quoi ?
 
Ça voudrait dire les disparitions de Varaignes, Busserolles, Champniers, Saint Front, voire Saint Saud ou Abjat si les CM passent au collège. Le moratoire signé entre l’Union des Maires et le Rectorat avait permis une pause de 2014 à 2017 dans la restructuration de la carte scolaire. Les élus devaient mettre à profit ces 3 années pour élaborer localement des propositions (Bussière-Busserolles …St Pardoux-St Front) mais cela n’a pas abouti. Aujourd’hui le problème c’est que si on ne réfléchit pas sur une restructuration du tissu scolaire on va se faire manger en 2020. Sauf que c’est une année d’élection …

Comment percevez-vous les positions de vos collègues maires ?
 
Il y a des positions très arrêtées comme Busserolles qui dit : « si on enlève l’école je démissionne tout de suite », il y a certains maires qui espèrent peut-être récupérer les élèves de la commune voisine, et puis il y a ceux qui sont ouverts aux évolutions considérant que regrouper CM1, CM2 et 6ième ça peut se comprendre.

Qu’est-ce qui peut débloquer les choses ?
 
C’est je pense la liaison autour du collège, si on veut que le collège vive. Mais il faudra que la population soit associée aux décisions, pour l’instant on ne fait des réunions que d’élus, mais je veux associer les enseignants puis les parents. Je me suis fixé jusqu’en septembre 2019 pour aboutir.

                                                              Augignac -avril 2018

Peut-être que l’implication des parents peut faire bouger les lignes, ils sont moins dans des logiques de pouvoirs locaux ?
 
Absolument ! Mais pour l’instant ma priorité c’est de faire venir le nouvel Inspecteur d’Académie sur le terrain. Il faut aussi se rendre compte que certaines communes ont investi, par exemple des rénovations de cantines, et je comprends tout à fait les réactions des maires. Il faut mesurer les conséquences des fermetures des services publics, on s’aperçoit que dans des petites communes qui n’ont plus d’école les enfants sont scolarisés très tard et parfois même les parents font l’école à domicile. Nous en avons déjà répertorié une douzaine !
Et puis il y a ceux qui choisissent l’école alternative comme Saint Pierre de Frugie, qui accueille même des enfants de Champniers-Reilhac, je ne sais pas comment ils font. Il y a maintenant un même projet sur Champs Romain, qui a été acté par la commune. Alors quand l’Education Nationale se retire, je comprends très bien que le Maire veuille faire vivre sa commune. Certains maires désapprouvent mais j’essaie de leur faire comprendre que cela touche une frange différente de la population, qui arrive avec d’autres idées, d’autres façons de voir les choses, et il faut en tenir compte !

Est-ce qu’au sein de l’Education Nationale les organisations professionnelles ne sont pas aujourd’hui moins mobilisées sur la recherche et l’expérimentation pédagogique ?
 
Pas du tout, ce qui a changé c’est le recrutement des enseignants. J’étais instituteur et je l’ai choisi très jeune, c’était un choix personnel fondé sur des convictions, et aujourd’hui ce choix se fait très tard et souvent par défaut, et beaucoup d’enseignants n’ont plus cette fibre de transmission de valeurs… Je reconnais de grosses qualités à M. Jospin, lorsqu’il a décidé de mettre l’enfant au cœur du système plutôt que le savoir, c’était génial dans le principe ! Mais on a dérivé, on a laissé tomber le savoir, la citoyenneté, la notion de république, et c’est dommage parce qu’on s’est retrouvés vers de l’individualisme et de la sélection, voilà ! Et aujourd’hui le contenu, la culture, le fameux socle commun c’est devenu peau de chagrin… enfin bon, je ne veux pas non plus être trop archaïque mais bon …

Est-ce qu’il y a un lien avec le fait qu’aujourd’hui pour les enfants la connaissance peut venir d’ailleurs aussi ?
 
Tout à fait, c’est vrai qu’on ne peut plus s’en passer d’Internet et des nouvelles technologies et que le tableau noir c’est fini, mais il faut quand même garder cet esprit de citoyenneté, on forme la république de demain, et là on est en train d’aller vers l’individualisme.

Est-ce que les expériences alternatives courent ce risque-là ?
 
Absolument, c’est pour ça que moi je n’en suis pas très partisan, ça me pose quelques problèmes déontologiques. L’approche Montessori comprend de très très bonnes choses, je l’ai apprise à l’Ecole Normale et je l’ai utilisée dans ma classe mais je n’ai pas fait que ça. C’est vrai qu’il faut tenir compte de l’enfant, mais il ne faut pas oublier non plus la transmission du savoir. L’histoire a disparu de l’école primaire et c’est quand même dommage de ne plus apprendre ce qui s’est passé et d’où on vient. En même temps je pense que l’on a trop ouvert l’école aux parents.

On voit dans l’expérience de Saint Pierre de Frugie qu’elle ne représente pas seulement le maintien d’une école, mais qu’elle participe aussi à toute une dynamique locale.
 
C’est bien pour ça que lorsque j’entends l’Education Nationale dire « plus une commune avec une seule classe » je ne peux pas comprendre, je ne peux pas adhérer à ça ! Alors comment faire pour maintenir un tissu scolaire rural ? Pas facile !

Alors c’est quoi les leviers par rapport à l’Etat ? Quelle influence peut exercer la société civile organisée ?
 
Manifester, faire des pétitions, bof… alors c’est le vote ! Il ne faut pas avoir peur des urnes et se faire élire pour être légitime et agir. Ce sont les députés qui votent les lois, bien que dans un autre domaine, celui de la fin de vie, chaque député se dit d’accord pour qu’on revoie la Loi Léonetti, mais quand ils sont à l’Assemblée Nationale c’est autre chose… Pour ce qui est des fédérations nationales de parents d’élèves je ne suis pas sûr que le milieu rural y soit très représenté. En Dordogne il faut savoir qu’aujourd’hui l’Union des Maires n’est pas du tout d’accord pour renouveler une convention dans le nouveau cadre proposé.

                                  Nontron avril 2018 /PMQC: Plus de maîtres que de classes

Localement cela renvoie à une nécessaire réflexion locale pour un projet de territoire ?
 
Tout à fait et je veux inscrire notre travail en cours dans cette perspective, le Président de la Communauté de communes souhaiterait initier une telle démarche. Pour ma part, dans l’immédiat, je vais prochainement recontacter l’Inspection Académique.

Tout au long de notre entretien Pierre Peyrazat m’a semblé aborder ces tensions avec une certaine force tranquille. La cohérence de son engagement professionnel passé avec son engagement d’élu dans la politique éducative locale est évidente.
Entretien réalisé par Alain Dionneau le 30 mars 2018