« La Hulotte » a 50 ans : ses lecteurs racontent leur amour pour la revue
«
On s’émerveille devant une chouette ! » Neuf naturalistes racontent à
Reporterre leur amour pour « La Hulotte ». Cette revue qui raconte avec
humour et érudition la vie des animaux et des plantes fête ses 50 ans.
La
Hulotte, « le journal le plus lu dans les terriers », fête cette année
son demi-siècle d’existence. À l’origine bulletin de liaison des clubs
Connaître et protéger la nature des Ardennes, la revue compte
aujourd’hui 150 000 abonnés. Le vocabulaire simple, la précision
scientifique impeccable et un humour décapant ont fait de La Hulotte une
revue culte. Le docteur Toutou (le crapaud accoucheur), tonton Griffon
(le vautour fauve), en passant par Arsène Lepic (le pic noir), M.
Viscoglut (le gui), Mme Hermann (la tortue éponyme) et Nestor Falco (le
faucon pèlerin) ou encore Marie Criquette (la sarcelle d’hiver) sont
quelques-uns des héros dont les aventures sont contées par La Hulotte
par le reporter nommé Adrien Desfossés. Ils ont accompagné plusieurs
générations de naturalistes et de scientifiques, qui, pas avares
d’anecdotes, ont confié à Reporterre leur attachement à ce journal
unique.
Grégoire : « La force de “La Hulotte”, c’est un anthropomorphisme complètement assumé »
Grégoire
Loïs, 52 ans, a travaillé dans le bâtiment et la chaudronnerie tout en
exerçant des activités d’expert naturaliste et de soigneur pour la faune
sauvage. Expert faune pour l’Union européenne, il a intégré le Muséum
d’histoire naturelle en 1996 en tant que gestionnaire de la base de
données des oiseaux bagués en France.
« Les anciens numéros, sur les
mares, les nichoirs et les arbres, m’ont marqué très jeune, puis ceux
sur le crapaud accoucheur, le chabot, les araignées orbitèles, explique
ce codirecteur du programme de sciences participatives Vigie-Nature
depuis 2012. Le truc de La Hulotte, c’est de présenter un dossier
complet sur des espèces, communes notamment, sur lesquelles il est
difficile de trouver de l’information. Le chevreuil par exemple. Ou bien
la taupe ! La vie de cette bestiole est démentielle et montre la
supériorité des mammifères sur les oiseaux : aucun n’est devenu
complètement fouisseur comme une taupe, raconte l’auteur du livre Ce que
les oiseaux ont à nous dire (Fayard, 2019). Il y a aussi le lierre, le
plus banal qui existe autour de chez toi. La patrimonialité d’une espèce
n’est pas un critère de sélection. Il y a quelque chose qui est souvent
rejeté par les naturalistes : l’anthropomorphisme. Il est complètement
assumé et c’est la force de La Hulotte. La rigueur scientifique sur le
contenu permet d’incarner les éléments du vivant de manière à générer de
l’empathie. »
Sonia : « “La Hulotte” a été un support formidable en tant qu’animatrice »
«
Mes deux premières Hulotte sont celles sur le sphinx tête-de-mort et le
spécial mare », raconte Sonia Richaud, 37 ans, abonnée depuis une
dizaine d’années. Après une licence professionnelle de biologie
appliquée, elle a travaillé en bureau d’études, puis comme animatrice
nature au jardin des papillons à Digne-les-Bains
(Alpes-de-Haute-Provence). Depuis 2014, elle travaille au pôle «
biodiversité régionale » du Conservatoire d’espaces naturels de
Provence-Alpes-Côte d’Azur, à Sisteron.
« On était partis sur le terrain
avec notre Hulotte numéro 7, le spécial arbres. C’était notre compagnon
de balade, raconte celle qui, au niveau régional, coordonne les zones
naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique (Znieff) et
le plan national d’actions sur les papillons. J’ai beaucoup aimé la
série sur les frelons. Un autre numéro rigolo, c’est les Petits mystères
des grands bois, avec les trucs hors du commun que tu trouves en forêt.
La Hulotte a été un support formidable en tant qu’animatrice. J’avais
besoin d’informations à la fois précises et grand public sur les
papillons. Quand tu acquiers de la connaissance très vulgarisée, tu
deviens plus à l’aise avec les gens car tu sais quoi leur raconter. Cela
m’a permis de comprendre que quand tu t’adresses à un public intéressé
mais pas naturaliste, l’important n’est pas de savoir comment s’appelle
le papillon que tu vois passer, mais ce que tu as à raconter sur lui.
Ils ne vont pas retenir qu’il s’agit du papillon citron, mais qu’il a
passé l’hiver congelé et qu’il a une durée de vie de plus de dix mois. »
Jean-Philippe Paul : « Et le lierre ! Comment tenir autant de pages sur une plante… »
Jurassien,
Jean-Philippe Paul, 46 ans, a étudié la biologie à l’université de
Besançon. Après avoir travaillé dix ans comme chargé d’études
naturalistes à la Ligue pour la protection des oiseaux Franche-Comté, il
est rédacteur pour la revue La Salamandre depuis 2012.
« Les numéros
sur le castor et la chevêche ont répondu instantanément à un intérêt
naturaliste que je portais localement pour ces espèces autour de chez
moi. Le numéro sur le chabot [un petit poisson à grosse tête épineuse]
m’a marqué aussi. J’habite au bord de la Loue, une rivière où il a pris
une grosse claque. Écrire une quarantaine de pages sur le chabot, seule
La Hulotte (et La Salamandre) peuvent faire ça. Dans le même esprit, il y
a le numéro sur la mulette perlière [un mollusque d’eau douce], c’est
un sujet dingo. Et le lierre ! Comment tenir autant de pages sur une
plante… La Hulotte fait tout un monde d’un truc qui vit à quinze mètres
de ta maison. Elle assume cette personnification qui n’est pas du tout
dans les codes. On s’émerveille devant une chouette ou une moule qui
parle ! Elle réussit la prouesse de ne pas tomber dans l’enfantin.
L’humour en est un style à part entière, une marque de fabrique très
forte, un univers lié à son unique auteur. La Hulotte et La Salamandre
sont parfois considérées comme des sœurs. Les deux revues s’influencent
mutuellement. D’ailleurs, La Salamandre, qui a dix ans de moins, a été
inspirée par son aînée. »
Marylin Genest : « Les rares étudiants qui connaissent encore “La Hulotte” en sont complètement fans »
Mayennaise,
Marylin Genest, 56 ans, enseigne depuis une vingtaine d’années aux BTS
du lycée agricole de Vendôme. Elle copréside l’association d’éducation à
l’environnement Athéna.
« Je lis La Hulotte depuis depuis quarante-deux
ans. Je l’ai découverte adolescente et je me suis abonnée. Dans le
milieu naturaliste, ce journal a été très vite repéré. Le numéro spécial
mare paru en 1974 m’a marquée, comme celui sur les grues et les
cigognes, les cahiers de doléances des nuisibles, et celui sur l’aulne
glutineux. Dernièrement, j’ai beaucoup aimé le numéro sur le moineau
domestique : grâce à La Hulotte, on le regarde différemment, dit cette
professeure d’éducation socioculturelle et d’animation nature. J’adore
l’humour de Pierre Déom, le rédacteur du journal depuis 1972, ses
dessins, ses positions par rapport à la chasse. Dans mon métier, je
l’utilise beaucoup auprès de mes étudiants, on passe un bon moment de
vulgarisation scientifique et on apprend plein de choses. Les étudiants
qui connaissent aujourd’hui La Hulotte ne sont pas très nombreux, mais
ils sont fans. Un groupe d’étudiants s’intéressait au marcottage des
plantes : je leur ai fait lire le numéro sur la ronce. C’est une bible,
très accessible. »
Maxime Zucca : « On retrouve dans “La Hulotte” l’humour acerbe et piquant de Charlie Hebdo »
Naturaliste
et ornithologue, Maxime Zucca, 37 ans, a travaillé huit ans à l’Agence
régionale de la biodiversité d’Île-de-France. Aujourd’hui, il est
écologue indépendant et partage son temps entre la Drôme et Paris.
«
J’ai adoré les numéros sur le gui. C’est une fenêtre ouverte sur une
plante parasite visible toute l’année autour de nous et dont on ne sait
rien. Arriver à faire deux numéros là-dessus, c’est vraiment ça, La
Hulotte, raconte à Reporterre ce membre du Conseil national de
protection de la nature et auteur de La migration des oiseaux, aux
éditions Sud-Ouest. Pierre Déom va chercher dans la bibliographie des
choses que même nous, ornithologues, on ne connaît pas bien. Souvent, en
lisant un numéro sur les oiseaux, je ressors de la lecture beaucoup
plus érudit sur l’espèce traitée que je ne l’étais avant. Un de mes
préférés, c’est l’incroyable numéro sur les frissons d’ombelles. Pouvoir
aller avec sa Hulotte se caler devant une grande berce ou une carotte,
et essayer de reconnaître quelques familles d’insectes, ça permet
d’ouvrir l’horizon entomologique à des débutants. Et les dessins sont
somptueux ! C’est à cheval entre un outil d’identification et un outil
ultrapédagogique et d’écologie. Je suis un grand lecteur de Charlie
Hebdo depuis que je suis petit. On retrouve cet humour acerbe et
piquant, dans La Hulotte. C’est une revue que des amis, qui ne sont pas
naturalistes, lisent et lisent à leurs enfants. Elle joue un rôle
essentiel en matière de protection et de sensibilité au vivant. Elle a
sensibilisé des sphères très différentes, bien au-delà du cercle des
seuls naturalistes, y compris des gens qui travaillent maintenant dans
des lieux de pouvoir. »
Louis Ton : « C’est grâce à “La Hulotte” que j’ai pu orienter mes recherches »
Né
en 1997 en Corrèze, Louis Ton a étudié en BTS Gestion et protection de
la nature. En 2017, il a intégré une licence puis un master en
ingénierie, écologie et gestion de la biodiversité à Montpellier. Il est
aujourd’hui chargé d’études « insectes » au Conservatoire d’espaces
naturels d’Occitanie.
« J’ai connu La Hulotte à dix ans grâce au CDI du
lycée agricole où mes parents enseignent, dit ce spécialiste des
oiseaux, des orthoptères (grillons, criquets, sauterelles) et des
papillons. Un jour, ma mère a emprunté une reliure colorée, avec les
premiers numéros de La Hulotte, à partir du 5 ou 6. Je n’étais pas
encore naturaliste à l’époque, mais j’y étais sensible. Et au final,
j’ai lu tous les numéros. Et j’y suis abonné depuis une dizaine
d’années. Les deux numéros sur le faucon pèlerin m’ont marqué. Les
dessins m’avaient fasciné à l’époque. Avec le recul, je trouve que
Pierre Déom a fait un effort particulier sur ces numéros, qui deviennent
vraiment artistiques. Un dessin m’avait marqué, sur deux pages, avec le
faucon pèlerin qui te regarde, posé sur une vire rocheuse, et derrière,
un grand-duc qui arrive pour l’attraper. Quand j’ai commencé le suivi
des faucons pèlerins en Basse Corrèze, il n’y avait pratiquement
personne pour m’expliquer la phénologie et les astuces pour les suivre.
C’est grâce à La Hulotte que j’ai pu orienter mes recherches. »
Valérie et Marc Corail : « Tu offres “La Hulotte” à ton gamin, mais c’est toi qui te régales à la lire »
Valérie
Corail, 57 ans, a travaillé dix ans au parc national des Écrins comme
animatrice pour des classes de découverte, et dans les offices de
tourisme locaux, puis en tant qu’assistante d’éducation dans les écoles
du Champsaur (Hautes-Alpes).
« Ce dont je me souviens, c’est le numéro
sur la cardère sauvage, une plante insignifiante, sans couleurs
attrayantes. J’en ai aimé plein d’autres : le frelon, les hirondelles,
le martinet… La Hulotte, si tu l’ouvres, tu la lis, et tu es
immédiatement captivé. C’est une encyclopédie qui m’a appris à
expérimenter et à regarder la nature. Par exemple, observer une toile,
faire venir l’araignée avec un diapason, c’est un regard différent. La
Hulotte m’a donné une clé d’accès à la nature. »
Après avoir été
objecteur de conscience au Centre de recherches alpin sur les vertébrés,
Marc Corail a intégré le Parc national de la Vanoise puis celui des
Écrins dans la foulée. Il y travaille en tant que garde-moniteur depuis
1993 et il est l’un des spécialistes français de la chouette
chevêchette.
« Tu offres La Hulotte à ton gamin, mais en fait, tu te
l’offres à toi, et c’est toi en tant qu’adulte qui te régales à la lire.
Je l’ai découverte dans les années 1985, quand je faisais de la
surveillance de rapaces avec le Fonds d’intervention pour les rapaces
(FIR) dans les Alpilles, dans le Cantal, en Creuse… Chez tous les
naturalistes où tu débarquais, au milieu des Géroudet et des Robert
Hainard, il y avait La Hulotte. Mon premier numéro, c’était celui sur le
faucon pèlerin. Celui que j’ai le plus lu et utilisé en animation
nature, c’est le numéro sur les pelotes de réjection. Sur toutes les
voitures des « écolos », à l’époque, tu avais un autocollant de La
Hulotte. Quand je suis arrivé dans le Champsaur, l’autocollant que je
voyais en majorité, c’était « Pendons les écolos tant qu’il reste des
arbres ». Aujourd’hui on ne le voit plus, mais l’autocollant La Hulotte,
on le trouve encore. »
Véronique Jorland : « Pour me documenter sur une espèce, je regarde d’abord l’index de “La Hulotte” avant d’aller sur Internet »
Clermontoise
d’origine, Véronique Jorland, 51 ans, a étudié en BTS Gestion et
protection de la nature, puis en aménagement du territoire et des
milieux naturels. Accompagnatrice en montagne, elle enseigne la gestion
des espaces naturels au lycée agricole de Neuvic en Corrèze. « J’ai
beaucoup utilisé les numéros sur le chevreuil, le pic noir et le lierre.
Je les cite souvent à mes élèves. Il y a aussi le numéro sur la taupe,
fabuleux. Si je dois me documenter sur une espèce, je prends l’index de
La Hulotte pour regarder si elle a été traitée, avant d’aller sur
Internet. Ce que j’apprécie dans ce journal est justement ce côté nature
très ordinaire, les numéros sur le merle, le moineau, le lierre, le
hérisson… Une collègue du lycée d’une trentaine d’années a découvert
récemment la revue et s’est dit qu’il fallait absolument qu’elle
l’utilise avec ses étudiants, mais de manière plus scolaire. Car le
problème auquel on se heurte aujourd’hui, ce qui n’était pas le cas il y
a quelques années, c’est que les étudiants ne lisent pas. Chaque année,
sur une classe de trente, il y en a quatre ou cinq qui connaissent La
Hulotte, parfois moins. »