Ainsi s’intitulait l’interview de Valérie Chansigaud, historienne des sciences et de l’environnement, par Jean Lebrun, animateur historique de France Inter (« la Marche de l’Histoire »). Ce fut l’un des points forts du festival Nature « La Chevêche » organisé par le CPIE Périgord Limousin du 9 au 11 mars derniers. L’enregistrement complet de cet entretien sera bientôt en ligne.
Valérie Chansigaud
Depuis quand l’Homme marque-t-il son environnement d’une empreinte spécifique ?
Pour Valérie Ch. c’est depuis qu’il maîtrise le feu et l’arme de jet : auparavant il n’était qu’un prédateur astucieux, mais avec le feu et la capacité d’atteindre ses proies à distance il devient un redoutable tueur. Le chasseur-cueilleur paléolithique, qui migre au fil des siècles, au gré des évolutions du climat et des parcours des gibiers, a ainsi massacré sur les territoires où il se manifestait des troupeaux de bêtes « naïves » qui ne le connaissant pas ne se méfiaient pas de lui, des fouilles de lieux de carnage en témoignent ; il a donc été, dès lors, responsable de disparitions d’espèces.
Mais avec l’apparition de l’agriculture et de l’élevage au néolithique il fait bien plus : il modifie plantes et bêtes pour qu’ils servent au mieux ses intérêts, il déboise, il modifie le cours des ruisseaux pour irriguer ses cultures, plus tard il développe les arts du feu, céramique, métallurgie, perfectionnant sans cesse armes et outils, processus encore à l’oeuvre de nos jours avec de vertigineuses accélérations. En outre l’Homme devient un loup pour l’Homme, prédateur de sa propre espèce, au cours de ses conflits territoriaux.
Comment a évolué, des origines à nos jours, le regard de l’Homme sur la Nature ?
« depuis longtemps, dit V.Ch., je regarde les gens regarder la Nature ». Pour elle, ce regard est très différent d’une civilisation à l’autre, en Occident, en Orient, en Afrique…mais il y a une constante : une indifférence généralisée par rapport aux conséquences des activités humaines sur l’environnement. Cette indifférence culmine aujourd’hui avec le refus majoritaire de reconnaître l’importance majeure, inédite, de la crise en cours qui menace toutes les régions du globe et toutes les espèces vivantes, y compris bientôt l’espèce humaine.
La civilisation occidentale, marquée par les traditions judeo-chrétiennes, a donné le ton en matière de maîtrise de l’Homme sur la nature. Tout était consommable et transformable à volonté, vision sacralisée par la Bible avec l’injonction divine : « croissez et multipliez, emplissez la Terre et soumettez-la ». Or il se trouve que cette civilisation a transmis au monde entier, grâce au développement prométhéen de ses outils, ses modèles économiques, et partiellement éthiques et sociaux. Elle a longtemps véhiculé l’idée que l’homme est destiné à être le maître du monde, à poursuivre l’œuvre créatrice de Dieu, que végétaux et animaux sont là pour le satisfaire…La prise de conscience du fait que nous vivons aujourd’hui un paroxysme qui menace tout le vivant ne date que des années 70 (Club de Rome) et peine à pénétrer l’opinion, préoccupée avant tout de pouvoir d’achat et d’alimentation à bon compte.
Discernez-vous cependant les indices d’une évolution plus favorable ?
« Pour l’avenir je n’ai pas de vision apocalyptique, ni d’espérance utopique, j’espère seulement que l’intelligence collective saura trouver des mécanismes adaptatifs à la hauteur des défis. » Une minorité agissante multiplie les démarches utiles ; les conférences internationales se succèdent et lancent des cris d’alarme aux plus hauts niveaux politiques, sur les risques difficilement maîtrisables du changement climatique ; jamais autant d’argent n’a été dépensé pour la protection de la nature et l’environnement, mais pourtant jamais la nature n’a été aussi mal. En effet il existe de puissants freins économiques et sociétaux empêchant les changements radicaux indispensables, dans nos modèles de production, de consommation et d’échanges. A quoi bon multiplier Parcs Naturels et réserves, s’ils se vident de leur biodiversité ? Comment faire pour que les utilisateurs de pesticides les trouvent moins désirables, n’y voient plus la condition de leur salut, mais y perçoivent une menace pour eux et leurs enfants ? Comment transformer le regard des hommes sur leurs pratiques, pour qu’ils trouvent préférable de les changer ?...
Valérie Ch. est l’auteure de plusieurs livres abondamment documentés, pleins d’exemples puissamment éloquents, d’arguments irréfutables, source exceptionnelle de connaissances qui devraient servir à faire évoluer l’opinion en profondeur. Mais dans son dernier ouvrage, « la Nature à l’épreuve de l’Homme », (qu’elle dédicaçait à Nontron) elle note que l’indifférence à la destruction de l’environnement comme à la souffrance animale s’enracine dans des pratiques économiques et culturelles qui ne doivent rien à l’ignorance, mais sont largement assumées.
Essai de synthèse par
Marie Elisabeth Chassagne. Varaignes.
et Matthieu Le Roux. (coordinateur CPIE du festival La Chevêche)