jeudi 3 mars 2022

4. Le maire expressément visé par les nouveaux textes

 Les lois de 2007 ont élargi les champs informationnels du Conseil général et du maire en réaffirmant le premier en tant que socle de la protection de l’enfance  et en installant le maire comme pilote de la prévention de la délinquance . C’est donc en tenant compte de ces compétences respectives que le professionnel doit en conscience faire le choix de leur transmettre les informations au vu des actions qu’il souhaite voir mises en œuvre.


1 - Le maire


a - L’information dans le secteur social à proprement parler


L’article L.121-6-2 du code de l’action sociale et des familles issu de la loi relative à la Prévention de la délinquance prévoit essentiellement six dispositions :


1. Lorsque un professionnel de l’action sociale  (intervenant seul précisera le 3° alinéa) constate que l’aggravation des difficultés appelle l’intervention de plusieurs professionnels, il en informe le maire et le président du Conseil général. La loi ne mentionne pas la gravité des difficultés, mais leur aggravation, c’est-à-dire une évolution défavorable.
 Dans ce cas, le professionnel doit informer le maire et le président du Conseil général, non de la nature de ces difficultés, mais de la nécessité d’organiser une coordination. C’est le professionnel qui apprécie, il n’y a rien de systématique. C’est pourquoi cette obligation n’est pas pénalisée.

Attention cependant, si cela n’est pas fait et que la situation évolue défavorablement, a fortiori dramatiquement, le professionnel qui avait conscience de cette aggravation et qui n’a pas provoqué une prise en charge coordonnée pourra se voir reprocher une mise en danger délibérée de la personne d’autrui .


2. Si l’efficacité et la continuité de l’action le rendent nécessaire, le maire désigne un coordonnateur. Le coordonnateur est nommé parmi les professionnels qui interviennent auprès de cette personne ou famille. Cette désignation est une obligation pour le maire, mais c’est lui qui apprécie sa nécessité.


3. Les professionnels sont alors autorisés à partager entre eux, avec
    • une condition : intervenir auprès de la même personne ou famille ;
    • un double objectif : évaluer et déterminer les mesures à mettre en œuvre ;
    • une limite : le strictement nécessaire.
Ce texte reprend, mais cette fois pour l’ensemble de l’action sociale ce que l’article L.226-2-2 précisait pour le seul domaine de la protection de l’enfance.
Seule différence : l’information préalable des personnes concernées n’est pas prévue par ce texte. Toutefois rien ne l’interdit, précise la circulaire du ministère de l’intérieur . Par ailleurs, si le partage donne lieu à un écrit, les personnes concernées pourront y avoir accès dans les conditions de la loi du 17 juillet 1978 .


4. Le coordonnateur a connaissance de ces informations échangées. C’est une obligation - on ne voit pas comment il coordonnerait dans l’ignorance. Il est d’ailleurs soumis au secret professionnel.


5. Le professionnel intervenant seul ( ?) qui a constaté l’aggravation et a informé le maire et le président du Conseil général ou le coordonnateur, est autorisé à leur communiquer les informations confidentielles qui sont strictement nécessaires à l’exercice de leur compétence. Ces informations peuvent être communiquées aux seuls élus qui ont une délégation de fonction du maire ou du président du Conseil général dans les conditions des articles L.2122-18 et L.3221-3 du code général des collectivités territoriales. D’autres textes définissent quelles sont ces compétences du maire et celles du président du Conseil général : le président du Conseil général est chargé de conduire la politique de protection de l’enfance. Le maire est responsable de la prévention de la délinquance. Par ailleurs, il est officier de police judiciaire et il préside le « conseil pour les droits et devoirs des familles » , ce qui élargit ses compétences.

En revanche, si un mineur est susceptible d’être en danger, le coordonnateur, ou le professionnel intervenant seul ( ?) a obligation d’en informer sans délai le président du Conseil général. « En informer » signifie bien informer de ce danger éventuel avec les éléments permettant de l’évaluer. En revanche, le maire est seulement informé qu’une information préoccupante a été transmise, mais non de son contenu. C’est pour cela qu’il n’est pas écrit « le coordonnateur en informe le président du Conseil général et le maire », mais « en informe sans délai le président du Conseil général ; le maire est informé de cette transmission ». On pourrait objecter : comment informer sans dire le contenu de cette transmission ? En fait, on a d’autres modèles juridiques : ainsi un médecin du travail, un médecin contrôleur de la sécurité sociale, informent celui qui les mandate de ses conclusions, sans préciser le contenu de ses investigations.


b - Les compétences croisées


Il est nécessaire de s’arrêter quelques instants sur la multiplication récente des sources d’informations du maire dans les domaines éducatif, social et judiciaire.
Dans le secteur éducatif, il doit être informé par les établissements d’enseignement de l’absentéisme scolaire sur le territoire de sa commune. La liste des élèves faisant l’objet de cet avertissement est adressé au maire par l’inspecteur d’Académie . Il a d’ailleurs été créé un fichier automatisé des données à caractère personnel relatif aux enfants d’âge scolaire qui renseigne le maire sur les exclusions et l’absentéisme grave .


Dans le secteur social, le maire peut être dépositaire d’informations liées à des dispositifs propres à la commune, tels les demandes d’aides liées aux frais de scolarité ou au logement. Il peut également l’être dans le cadre de dispositifs dont la commune peut faire partie et qui concernent transversalement les domaines social, éducatif, pénal ou urbanistique notamment dans le cadre de la politique de la ville, par le biais des conventions D.S.Q. (développement social des quartiers), des contrats de ville, des missions locales (par l’action sur l’emploi), des programmes de réussite éducative (P.R.E.) et des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (C.L.S.P.D.), désormais obligatoires dans les villes de plus de 10 000 habitants et dans les communes comprenant une zone urbaine sensible. Ces actions se font à travers le tissu associatif et en collaboration avec le Conseil général, l’Éducation nationale, la police, voire la protection judiciaire de la jeunesse.


Dans le secteur de la police et de la justice, le maire est, faut-il le rappeler, responsable de l’ordre public sur le territoire de sa commune . Le préfet doit l’informer régulièrement des résultats obtenus par les actions de lutte contre l’insécurité auxquelles la commune est associée. Par ailleurs, le maire (ou son représentant) dispose également de pouvoirs propres tels celui de convoquer à la mairie les auteurs des faits susceptibles de porter atteinte au bon ordre, à la sécurité ou à la salubrité publiques pour leur faire un rappel à l’ordre . Désormais, il doit être informé sans délai par les responsables locaux de la police ou de la gendarmerie nationale des infractions causant un trouble à l’ordre public. De même, à sa demande, le procureur de la République l’informe des mesures pénales adoptées.


Mais le maire, ainsi que ses adjoints, sont également officiers de police judiciaire au même titre que la gendarmerie et que la police nationale, sous le contrôle du procureur de la République. À ce titre, il peut, sur les instructions du procureur de la République  ou du juge d’instruction, être amené à diligenter des enquêtes sur la personnalité des personnes poursuivies ainsi que sur leur situation matérielle, familiale ou sociale .


Cette confusion des pouvoirs exécutifs et judiciaires trouve son paroxysme dans la combinaison entre la loi sur la prévention de la délinquance et la loi Perben du 9 mars 2004. Depuis cette loi en effet, l’officier de police judiciaire, en enquête de flagrance, « peut, par tout moyen, requérir de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou public ou de toute administration publique qui sont susceptibles de détenir des documents intéressant l’enquête, y compris ceux issus d’un système informatique ou d’un traitement de données nominatives, de lui remettre ces documents, notamment sous forme numérique, sans que puisse lui être opposée, sans motif légitime, l’obligation au secret professionnel » .


Cette multiplication des compétences du maire dans les domaines croisés du secteur socio-éducatif, judiciaire et de police rend plus que jamais nécessaire de poser la question du sens que l’on entend donner à la levée du secret.