Voilà une belle journée, parfaitement organisée par le Conseil de Développement Durable du Périgord Vert et riche de partages de connaissances, d’expériences et d’amitiés.
Je voudrais aussi apporter quelques observations en lien avec mon expérience professionnelle sur le sujet.
Tout d’abord, je constate que les institutions diverses en charge de la gestion de l’eau ont abordé le sujet selon un angle très physique (géologique et hydrogéologique) et sur les aspects qualités et sanitaires. Sur ces points, les propos ont été justes et très clairs. Je mettrai un bémol concernant l’eau en agriculture. Sur ce point, les chiffres affichés m’ont paru parfois excessifs, voire manipulés. La position de la Confédération Paysanne me semble plus proche de la réalité.
Concernant les nappes profondes, il est à noter que leur stabilité n’est qu’apparente et qu’il y aura sans aucun doute un effet différé préoccupant mais négligé. Ces nappes sont aussi en connexion avec les nappes de surface, ne l’oublions pas.
D’une façon plus générale, seul le petit cycle de l’eau a finalement été traité.
Je voudrais apporter un complément concernant les schémas du grand cycle présentés. Il est nécessaire d’évoquer l’apport océanique sur l’espace terrestre : seul 30% de l’eau océanique évaporée est répartie sur l’espace terrestre. Les eaux pluviales sur cet espace sont avant tout issues du cycle de l’eau verte.
Ce cycle fondamental et vital n’a pas été abordé et ne semble pas préoccuper nos instances diverses. Au sein de ce cycle de l’eau verte, deux éléments fondamentaux interviennent : la végétation et les sols.
Dans le contexte ancien et fonctionnel, une molécule d’eau réalisait une série de quatre à cinq rotations au sein du cycle sol / plante / atmosphère avant de rejoindre la rivière ou les nappes du sous sol. Aujourd’hui le nombre de rotation est réduit à deux ou trois. La conséquence est simple : le ruissellement augmente, l’érosion, l’irrégularité du débit des rivières, ...
Il faut ajouter à cela la situation des prairies naturelles dont la superficie régresse de façon drastique. Leur rôle au sein de ce cycle est lui aussi essentiel tant au niveau de la percolation et de l’épuration. Il faut préciser ici que le remplacement de ces prairies par des prairies permanentes artificielles ou temporaires a une forte incidence sur l’efficacité de ces milieux. Les prairies temporaires ne sont que des espaces de cultures et n’ont pas le même fonctionnement que les prairies naturelles avec une efficacité hydrologique bien moindre en raison d’une densité du système racinaire fasciculé moins dense et l’effet du travail des sols.
Concernant les sols agricoles, la situation est bien connue, la faible teneur en matière organique et la destruction de la vie du sol sont à l’origine d’un compactage ou d’une déstructuration dans nombre d’espaces agraires. Le phénomène de percolation est par conséquent très fortement réduit et génère ruissellement, érosion, sédimentation dans les estuaires et littoraux.
Les milieux forestiers contrairement à ce qui est dit sont en très forte régression; une plantation monospécifique n’est pas une forêt mais une xyloculture. Or ce sont ces espaces qui sont en progression et remplacent de plus en plus la forêt. La fonction château d’eau disparaît, l’efficacité de la pompe biotique est fortement réduite. La surface de vraie forêt capable d’assurer ces deux fonctions est devenue trop faible pour assurer un fonctionnement hydrologique équilibré.
Pourtant cette pompe biotique est l’élément fondamental et moteur de tout le système hydrologique terrestre. Il existe en son sein des seuils de ruptures qui sont à l’origine de la perte de régularité des dédits des cours d’eau, de la réduction de la percolation des eaux et donc de l’alimentation des nappes.
Ces milieux interagissent également sur l’évolution climatique, les modes de gestions actuels ne sont plus adaptés pour assurer leur résilience, seuls des espaces forestiers diversifiés peuvent assurer productivité, fonctionnement hydrologique équilibré et résistance au contexte climatique. Ils seraient aussi capables de contribuer de façon non négligeable à une réduction de l’effet de changement climatique.
Toutefois, le besoin en bois papetier (de trituration), le bois de construction implique le maintient d’un minimum de surfaces en xyloculture. Il est nécessaire de différencier ces espaces et de ne plus éliminer des espaces forestiers au profit de ces cultures. Ce phénomène est de plus en plus fréquent en Périgord vert sous couvert de l’action de lutte contre le changement climatique (le résultat est contraire) et financé par France relance !.
Il faut ajouter à cela un point important. En situation de déficit hydrique, les arbres émettent dans l’atmosphère des molécules (terpènes, potasse, phosphore) qui vont précipiter la vapeur d’eau en gouttelettes et former ainsi des nuages capables de précipitation. Cela ne peut être efficace que si les massifs forestiers sont de taille suffisante et non morcelés.
Les seuils de ruptures n’ont pas été considérés, je reproduit ici le chapitre que j’ai écrit sur ce sujet dans mon livret sur l’eau.
Percolation : la pénétration de l’eau dans le sol est directement liée à l’état de celui-ci et à l’intensité des pluies (pluviosité). La structure des sols agricoles est aujourd’hui profondément modifiée. La matière organique et le pédobios y sont de plus en plus rares. Il en résulte, selon la nature des sols, un compactage ou une prédisposition à l’érosion. La capacité de percolation s’en trouve fortement réduite, l’eau ruisselle et part directement vers les ruisseaux et rivières.
Dans les plantations monospécifique de résineux, les sols y sont également perturbés par l’acidité des aiguilles, l’horizon organique est réduit à sa plus simple expression ainsi que le pédobios. Comme dans les sols agricoles, la capacité de stockage et de percolation est fortement diminuée.
Ruissellement : Son intensité est directement liée à la capacité d’absorption des sols et à la pluviosité. Une pluie violente provoquera un ruissellement plus intense. L’aménagement des espaces agricoles et notamment les actions de remembrements ont éliminé les structures paysagères permettant de limiter ce phénomène (arasement des haies, élimination des fossés). L’eau parcourt les pentes avec une rapidité accrue et ne percole plus dans ces structures.
Turbidité des eaux : La réduction de la capacité de percolation, associée au ruissellement et à la réduction du couvert végétal génère une intensification de l’érosion. L’eau se charge de particules fines qui sont transportées vers les fleuves et se déposent dans les estuaires.
Colmatage : Il est induit par la déstructuration et l’érosion des sols agricoles ou de xyloculture. Ce phénomène contribue à réduire le potentiel de percolation vers les nappes phréatiques.
Stockage de régulation : La capacité de stockage du sol est fonction de son volume et de sa capacité de rétention en eau. Ce dernier facteur est directement lié à l’équilibre minéral du sol, mais aussi à son pédobios. Les vers de terre interviennent dans ce processus, mais aussi les fonges capables de produire une substance (la glomaline) qui permet une cohésion des éléments et une capacité à retenir l’eau dans le sol. Progressivement cette eau est libérée au profit de la végétation, des nappes et pour l’alimentation des cours d’eau. La forêt joue à ce titre un rôle crucial.
Rotation molécules de l’eau verte : Au sein du cycle de l’eau verte (l’eau prélevée dans le sol, qui transite dans les plantes et repart vers l’atmosphère lors de la transpiration) chaque molécule, chaque goutte d’eau réalise quatre à cinq rotations de ce type avant de rejoindre les eaux de ruissellement, les sources, les rivières ou les nappes. Aujourd’hui, ce nombre de rotations est réduit à deux ou trois sous l’effet de l’accélération des rythmes de l’eau (augmentation du ruissellement, réduction de la percolation, modification de la pluviosité).
Composition chimique des eaux : C’est au niveau de l’atmosphère et du sol que va se jouer la qualité de l’eau. Elle absorbe alors les polluants présents au sein de ces deux espaces. Si prairies et forêts ont capacité à réduire les teneurs par filtration de l’eau de pluie, il n’en est pas de même pour les polluants chimiques du sol. Le transit de l’eau à travers les roches ne suffit pas les éliminer. Au cours de sa progression vers les nappes, l’eau se charge naturellement de divers minéraux issus de la dissolution des roches traversées.
Les solutions
Elles existent et sont techniquement réalisables. Cela passe par une restauration des sols agricoles par un changements des pratiques agraires, le retour vers des sols vivants. Cela n’est possible que par un apport conséquent de matière organique et donc le maintien d’un élevage dans des fermes en polycultures ou grâce à des échanges entre fermes céréalières et fermes d’élevage. La réduction des pesticides et des apports en engrais est également indispensable. Il est donc nécessaire de considérer l’ensemble des pratiques agricoles, mais certains l’ont déjà fait.
Le retour vers des sols vivants, les semis sur paillis vert, la restauration des réseaux de haies sont autant d’actions qui vont contribuer à l’amélioration du fonctionnement hydrologique et à une meilleure productivité.
Concernant la forêt, il est indispensable de prendre e compte l’avenir de ces milieux, qu’ils soient artificiels ou naturels. Une approche intégrée est nécessaire. Les actions proposées vont dans le sens d’une amélioration du cycle de l’eau verte, de la réduction des effets du changement climatique et de l’adaptation des forêts et de l’amélioration de la productivité et de la qualité des bois.
Le changement des pratiques en ce domaine est vital, une orientation vers des peuplements diversifiés en espèces et en classe d’âge et le respect des sols indispensables. L’hyper-mécanisation et les coupes rases de grande surface sont désormais à proscrire. En effet, les sols forestiers sont des plus fragiles et ces deux actions destructrices pour une période de plusieurs dizaines d’années. Or le sol forestier en bon état est fondamental pour assurer des fonctions hydrologiques optimales. Cette diversification engendrerait aussi un rééquilibrage du phénomène de rotation de l’eau au sein du système forestier et améliorerait aussi la percolation de l’eau dans le sol et à destination des nappes phréatiques.
Tout ceci implique des actions de grande ampleur en terme d’organisation et de formation mais néanmoins vitales.
Cette approche me paraît essentielle si l’on souhaite réellement une efficacité en matière de gestion de l’eau. Traiter le problème à sa source, agir de façon préventive sera toujours plus efficace. Les actions menées en surface sont parfois inutiles, voire contre-productif. Les budgets engagés en ce sens pourraient sans doute être utilisés plus efficacement dans la restauration des sols et des forêts qui permettrait une recharge réelle des aquifères.
Lors de la quinzaine de l’eau à Saint Mathieu (87), j’ai présenté une conférence de 45 minutes sur ce thème et qui mériterait d’être reproduite.
Jacques Blot - Biogéographe
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