samedi 30 janvier 2021

La vie d'un cantonnier à St Front la Rivière en 1925


Nous sommes en 1925, je suis sieur Jean M....., je viens de prendre mon poste de cantonnier à St Front la Rivière et j'ai reçu le livret du cantonnier de 54 pages délivré par l'agent chef cantonal de St Pardoux La Rivière et les statuts de la Société de Secours Mutuels des cantonniers et cantonniers-chefs de la Dordogne.

 

Mon rôle consistera à l'entretien des chemins de Grande Communication de cette commune.

 

La longueur totale du cantonnement qui m'est confié est de  6146 mètres de la limite de Villars à la limite de Sceau St Angel.

 

 Voici quelques extraits du livret qui m'est confié, qui relate les tâches que j'aurai à exécuter et que j'ai acceptées avec enthousiasme.

 

Mon équipement est le suivant :

 

Une brouette, une fourche, une faux, une pelle en fer, un râteau en fer, un rabot en fer, une pioche, un cordeau de 20 mètres.

Il m'est  alloué une somme de 60 francs pour acheter ces outils.

 

Je devrai les entretenir et les remplacer à mes  frais.  

 

L'administration me remet également une fourche à cailloux, un guidon peint en rouge avec chiffres blancs pour signaler ma présence sur  les lieux de mon travail et bien entendu le livret composé de 28 articles sur le règlement, sept chapitres sur l'entretien des chemins, le travail à effectuer et une annexe sur la conservation et la police des chemins, avec de nombreux articles.

Dans ce livret, je note entre autres que je devrai obéissance à mon cantonnier-chef.

 

Pour être recruté et nommé cantonnier, j'ai dû présenter mon livret militaire, prouver que je savais  lire, écrire et calculer, fournir un certificat de moralité et un extrait de casier judiciaire vierge de moins de 3 mois.

 

Je serai,  sous la surveillance du cantonnier- chef qui passera au minimum, une fois par semaine pour vérifier mon travail et me donner des instructions.

 

Mon salaire du cantonnier sera celui de la  5e classe, soit  275 francs, avec un  avancement possible après 4 ans. Une indemnité annuelle de 120 francs sera versée si je fais usage de ma bicyclette pour venir travailler.

 

Je porterai  sur ma casquette une plaque avec l'inscription "cantonnier"

 

 Mon  travail de cantonnier sur le terrain consistera à :

 

-bien soigner l'entretien des chaussées de son cantonnement de façon assidue, de manière que la chaussée soit sèche, unie, sans danger en temps de glace, ferme, et d'un aspect satisfaisant en toute saison.

-assurer l'écoulement des eaux au moyen du curage des cassis, gargouilles, arceaux, et de petites saignées faites à propos partout où elles seront nécessaires, en observant que ses saignées ne devront jamais être faites dans le corps de la chaussée.

-faire, en saison convenable, les terrasses pour ouvrir et entretenir les fossés, régler les accotements et talus, jeter les terres excédantes sur les terrains voisins, s'il n'y a pas d'opposition, ou les emmétrer pour faciliter leur mesurage ou leur enlèvement.

-enlever, dans le plus court délai possible, au rabot ou à la pelle, les boues liquides ou molles sur toute la largeur de la chaussée, quand même il n'y aurait ni flaches ni ornières, et accumuler, jusqu'à nouvel ordre, sur l'accotement ces boues en tas réguliers.

-régaler ces boues, lorsqu'elles seront sèches, sur les accotements qui auront perdu leur forme, et jeter le surplus sur les champs voisins, s'il n'y a pas d'opposition.

-redoubler de soin aux approches de l'hiver pour l'exécution de ce qui est prescrit aux deux paragraphes précédents, afin d'éviter les bourrelets de terre gelée.

-dans les temps secs, enlever la poussière et la déposer sur les accotements.

-déblayer les neiges sur toute la largeur du chemin, ou au moins de la chaussée, notamment aux endroits où elles s'accumulent et gênent la circulation ; les jeter immédiatement sur les champs voisins, s'il est possible, ou les mettre en tas sur les accotements, de manière à indiquer aux conducteurs de voitures l'emplacement de la voie.

-casser les glaces de la chaussée, les enlever et répandre du sable et des gravats, notamment dans les côtes et les tournants brusques ;

-casser aussi les glaces des fossés et les enlever dans les endroits où elles s'accumulent de manière à faire craindre l'inondation de la voie lors du dégel.

-au moment du dégel, favoriser l'écoulement des eaux et enlever les fragments de glaces et de boues, afin que les effets de ce dégel nuisent le moins possible et au roulage et au chemin.

-rassembler, casser et emmétrer, en tas distincts et d'une forme particulière, toutes les pierres errantes, mobiles, saillantes, ou seulement apparentes, lorsqu'elles ont trop de volume, et celles qui seraient à proximité dans les champs voisins et dont on pourrait disposer pour les approvisionnements du chemin.

-casser les matériaux destinés à l'entretien, quand ce cassage ne devra pas être fait par l'entrepreneur de la fourniture.

-couper ou arracher les mauvaises herbes et les chardons, surtout avant la floraison.

-débarrasser la chaussée de tout ce qui peut porter obstacle à la circulation.

-nettoyer, par l'enlèvement des terres, plantes et corps étrangers, les plinthes, cordons et parapets des ponts, ponceaux et autres ouvrages d'art.

-veiller à la conservation des bornes kilométriques et des poteaux indicateurs.

 

> > > > > Mon temps de travail et mes horaires seront les suivants :

 

Du 1er avril au 1er octobre, six heures du matin, et gaillardement je ferai 78 heures par semaine, y compris le temps du repas que je devrai prendre sur place. Le soir, je terminerai à 18 heures. De belles et longues journées au contact de la nature m'attendent !

En hiver, l'horaire sera  allégé, il commencera  une demi-heure avant le lever du soleil et se terminera une demi-heure après le coucher du soleil. Les jours ou je ne ne travaillerai pas, comme les dimanches et fêtes, je serai  astreint à surveiller mon canton et si une urgence survient, excavation, déneigement, talus éboulé ou autre, je devrai intervenir. et dans ce cas travailler jusqu’à 91 heures s'il le faut.  

En cas d'absence non autorisée ou de peu d'empressement à assurer mon travail, une forte amende pourra m'être infligée, jusqu'à la destitution en cas de faute grave.

Une partie des amendes servira à financer les gratifications des bons cantonniers qui feront  preuve d'assiduité.

 

 

Quant à mes congés j'aurai droit à :

 

12 jours de congés par an !


 

Je suis un homme heureux, fier de mon travail, amoureux de mon village et de la nature préservée qui l'entoure.

 

En complément de mes revenus de cantonnier, je jardine, coupe du bois, dans ma basse- cour on voit des canards, des poules, des

lapins, et sur la colline un verger et une vigne. Je vis presque en autarcie.

 

Pour mes loisirs, je fais des sorties dans les collines qui m'entourent,

avec mon épagneul , et mon fusil en bandoulière pour chasser les lapins de garenne, les lièvres et les perdrix.

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Au printemps, je taquine le goujon et la truite fario dans la Dronne, au pied de mon village. La tournée de la batteuse,

 

les vendanges, chez les uns et les autres, sont pour moi un régal.

 

 "Voilà qu'elle était la vie de mon grand-père.
 

Qu'en est-il aujourd'hui, cent ans plus tard,  de la vie du cantonnier dans nos villages" ?

 

Francis LE GOYET - Saint Front la Rivière