vendredi 13 mars 2020

Les arbres valent mieux que ça!

Devant la recrudescence des étêtages et des abattages d’arbres d’ornements sans diagnostics sanitaires ni concertations, il est plus que temps de réagir et de défendre ces êtres vivants.

 Les arbres, quand ils sont publics, n’appartiennent pas aux élus d’un moment mais aux citoyens et à ceux qui viendront après nous. Il doit être considéré comme élément d’un patrimoine au même titre que le bâti ancien ou qu’un héritage culturel.


Pour faire ce bel étêtage il faut 3 ingrédients :
– 1 arbre en bonne santé,
– 1 propriétaire qui veut de l’ombre et de la fraicheur mais pas de feuilles,
– 1 élagueur sans tête qui ne se casse pas le ciboulot…


Les tempêtes occasionnent des ruptures de branches, de charpentières et des basculements d’arbres entiers. Parfois, il est difficile de dire pourquoi tel arbre a cédé et tel autre a résisté mais dans la majorité des cas, la cause de la rupture d’un tronc ou l’arrachage d’une branche est simple à déterminer.
En observant un arbre, certains signes attirent l’attention. C’est une fissure, une cavité, une déformation, un dépérissement, une faiblesse racinaire ou la colonisation d’un champignon pathogène…

                                    Platane:Une importante cavité suite à une coupe

Une fois ce diagnostic établi, l’élagueur, l’arboriste, l’expert peut alors donner un avis sur la dangerosité de l’arbre s’il y a lieu ou sur sa solidité.
 Donc, rabattre un arbre ne doit pas être un caprice !

Combien d’arbres ont été étêtés parce qu’une branche morte avait chuté ou que des feuilles bouchaient les gouttières ! Si un bois mort tombe, il faut faire une taille du bois mort. Si on ne veut pas de feuilles, on ne plante plus d’arbre.

L’arbre vaut mieux que ça :

    1- il structure le paysage : imaginer traverser un bourg, une ville sans aucun arbre.
    2- il apporte de la fraîcheur, de l’ombre donc du lien social, du bien-être : on pique-nique à l’ombre, on joue à l’ombre, on gare sa voiture à l’ombre…
    3- il est au centre de la biodiversité, de la vie : champignons, insectes, araignées, oiseaux, vers de terre, lichens, écureuils… sont les hôtes de l’arbre. Il nourrit les sols, se nourrit et protège ou/et alimente de nombreux êtres vivants.

                                 Platane abattu: la souche témoigne que l'arbre était sain.


Des arbres publics abattus, rabattus sans raisons.

Que s’est-il passé sur notre petit secteur du Nord Dordogne et du Limousin tout proche depuis 2/3 ans sur nos arbres publics?

    • Piégut : une très belle allée de platanes expertisée en 2005 par un cabinet agréé de l’arboriculture ornementale puis entretenu par une entreprise qualifiée.  En 2015, nouvelle expertise. La mairie reçoit les préconisations : enlever les bois morts et les branches dépérissantes, alléger quelques branches. Bizarrement, en 2018, ils ont été durement ravalés par une médiocre entreprise. Les coupes le long des troncs n’ont aucune chance de cicatriser. C’est la porte ouverte à des champignons pathogènes virulents qui s’installent sur les plaies de taille et décomposent le bois. Par contre, les branches mortes encrouées au-dessus de passage d’enfants, près d’un collège, n’ont même pas été enlevées (voir photos). Plus grave, 2 beaux spécimens de 30 m de hauteur ont été abattus par une entreprise d’exploitation forestière. Ils gênaient !!!

                                        Platane: grosse coupe inutile...

    • Saint Mathieu : le tilleul situé tout près de l’église, a été sauvagement rabattus par un élagueur un mercredi de janvier 2020. Il a fallu 4 heures pour bousiller un arbre de 120 ans.

                                        Le beau tilleul avant...et le squelette après!

   • Saint Saud : le beau févier d’Amérique, fier et vigoureux, avait de l’allure sur la place du centre bourg du pays du champignon. Il devait déranger quelques-uns. Abattage ! Certains disent qu’il était dangereux ! Quand on veut tuer son chien…
 
                         Un champignon à la place du majestueux févier.

    • Villars, la Puychardie : un splendide tilleul de 150 ans est passé de 26 m à 12 m suite à la vente du terrain communal à un riverain. Il avait été sauvé de l’abattage par un arboriste 10 ans auparavant. C’est se débarrasser du problème si l’on considère que c’en est un...


    • Trois charmants bourgs (Bussière Badil, Marval et Pensol) avaient tous un bosquet près du centre, composé d’érables, de tilleuls, de marronniers… sans aucun danger pour la population. Pourtant, ces arbres ont été durement rabattus. Il ne reste plus pour certains que les troncs. En l’espace d’une journée, leurs espérances de vie sont passées d’une centaine d’années, à 10, 20 ans ou 30 ans dans le meilleur des cas. Les champignons pathogènes sont déjà à l’œuvre.


    •  A Nontron, la taille « porte manteau » est appliquée systématiquement par un jardinier têtu. Apparemment, aucun élu, aucun supérieur n’ose lui dire la vérité : ce n’est pas parce qu’on sait manipuler une tronçonneuse que l’on sait tailler un arbre !

Les Français et les arbres, une énigme !


Si l’on compare nos pratiques avec les pays proches de la France, il est navrant de constater que nous sommes les seuls à avoir environ 60 centres de formations dispensant un certificat de spécialisation d’arboriste-grimpeurs et que paradoxalement, nous sommes le pays qui mutile le plus ses arbres.

En ce qui concerne les professionnels, les architectes sont quasi ignorants, les paysagistes dans leur grande majorité rabattent indifféremment arbres, arbustes et haies. Les forestiers ont rarement la sensibilité des beaux arbres. Les élagueurs ont dans leur majorité, soient sont indifférents au paysage qu’ils laissent, soient ils ont baissé le bras face aux sempiternelles demandes des clients de rabattre leurs arbres.

La moitié des grandes métropoles françaises suivie de quelques villes moyennes et d’un tiers des départements ont une politique de l’arbre, c’est encore trop peu. Ces collectivités vertueuses ont commencé depuis plus de 20 ans à protéger les arbres.
Les autres restent immobiles comme un arbre étêté.

Pourtant, il y a 40 ans, l’état a initié la « mission paysage » pour attirer l’attention des gestionnaires sur la qualité de notre patrimoine paysager. Son but est de dégager une méthodologie dans ce domaine nouveau pour l’administration française. Une des taches de cette mission était, devant la disparition ou le rabattage sévère quasi systématique des plantations d’alignements dans la plupart des départements, d’informer et de sensibiliser les maîtres d’œuvre, les maitres d’ouvrage et les élus.  Il en découla, entre autres,  des formations permettant d’acquérir la qualification d’arboriste grimpeur dès 1983.
A raison de 100 à 200  personnes au début des années 90  puis à 600 à 800 personnes formées aujourd’hui chaque année, on ne devrait plus voir aucun arbre mutilé sans raison sécuritaire sur notre territoire. Hélas, l’activité d’étêtage, du rabattage des arbres ne faiblit pas que ce soit dans les communes ou chez les particuliers.

Quelles sont les causes ?

    • La culture du jardin à la française, de la taille architecturée ?
« Ce style de jardin domestique ordonne la nature selon les principes de la géométrie, de l’optique et de la perspective…/… Le jardin à la française, fort d’une ambition esthétique et symbolique, représente un désir de faire triompher l’ordre sur le désordre de la nature, du réfléchi sur le spontané ». Sources : Les dossiers de Binette & Jardin > Histoire des jardins

                                    Beau tilleul en taille architecturée
                           
 Sauf que, pratiquer une taille en rideau, une taille en tonnelle, une taille en topiaire… ne s’improvise pas et s’intègre dans un projet paysagé. Ce n’est pas en rabattant au carré un arbre adulte que l’on maitrise l’art de la taille architecturée. Elle demande un vrai savoir-faire, de la rigueur, du temps et de la régularité.

    • La comparaison avec la taille arbres fruitiers ?
Bien que techniquement différentes, la taille des arbres fruitiers demande également un suivi régulier. C’est tous les ans qu’il faut revenir à la tâche, ouvrir l’arbre, réduire les pousses, éclaircir…en évitant les grosses coupes.
Malheureusement, nombreux sont les arbres fruitiers qui ne sont pas entretenus pendant des années et un jour on démarre la tronçonneuse et c’est le carnage.
 
Trop souvent on applique aux arbres d’ornement les tailles ce que l’on observe dans les vergers de production intensive, le rabattage systématique, sans savoir que ces arbres, abreuvés d’intrants ont des durées de vie très courtes.

 • Le désamour de l’homme rural et de la nature ?
L’homme a un besoin irrationnel de maitriser la nature à tout prix. L’arbre n’en est pas épargné. Il peut même en être la cible principale. Plus grand et d’une longévité bien supérieure à l’homme, on se demande parfois si ce dernier n’a pas un compte à régler avec lui.

 • La formation professionnelle ?

Dans les formations généralistes du paysage et de l’architecture, les modules traitant l’arbre, de l’apprenti jardinier à l’ingénieur sont faibles et les enseignants pas toujours avertis. Cependant, de temps en temps, un enseignant passionné transmet l’essentiel aux jeunes et ça change toute leur perception de l’arbre.

                                       Févier à Saint-Saud: bel arbre sain!


Il existe des formations spécifiques à l’arbre d’ornement d’une durée de 600 heures. Les modules que l’on enseigne sont nombreux : la botanique, la physiologie, la biomécanique, la parasitologie, le développement, les interventions…etc. pour ce qui est de l’arbre  mais également : les risques des travaux en hauteur – les gestes et postures – l’utilisation des Equipements de Protection Individuelle – manipulation des outils de coupe – le secourisme...etc.).

 Ces derniers modules, poussée par la MSA et le l’inspection du travail restent au centre des préoccupations des formateurs au détriment de la connaissance fondamentale des plantes.

 Résultat : On forme de très bons techniciens en incapacité de faire un diagnostic phytosanitaire, un état de santé de l’arbre.


De l’espoir.

Heureusement, des citoyens, des arboristes réagissent.

 En 2019, un arboriste a passé 1 mois dans un platane devant le ministère de l’environnement demandant que soit appliquée la LOI n°2016-1087 du 8 août 2016 - art. 172 :
« Le fait d'abattre, de porter atteinte à l'arbre, de compromettre la conservation ou de modifier radicalement l'aspect d'un ou de plusieurs arbres d'une allée ou d'un alignement d'arbres est interdit, sauf lorsqu'il est démontré que l'état sanitaire…. ».


Depuis, Elisabeth Borne (ministre de la transition écologique et solidaire) a reçu 4 organismes ou associations de protection, de défense ou d’entretien des arbres. Les citoyens et les professionnels, sont aujourd’hui, reliés par les réseaux sociaux. Cela donne plus d’ampleur aux actions pour la protection des arbres. Mme Borne l’a bien compris, espérons que cela redescende auprès des élus, des professionnels, des formateurs, des enseignants et des gestionnaires.

Etienne Barteau-Augignac


Commentaire:
 
Je souhaite convaincre les élus et les responsables économiques et politiques de l'agglomération d'Agen et au-delà, du département de Lot-et-Garonne, de l'urgence de planter des arbres et de les laisser pousser pour d'une part fixer le CO2 et d'autre part réduire les températures en milieux urbains. Vos idées compléteront utilement mes arguments.

Cordialement,
Christophe PEUCHOT





Quelques notions de bases :

LE BOIS : PAS DE VENT, PAS DE BOIS ! Le bois permet à l’arbre de maintenir cette structure imposante. Il est à la fois rigide tout en acceptant des déformations. Un tronc massif est très peu flexible alors qu’une branche fine est souple. Il amortit l’impact du vent grâce à l’oscillation des branches qui dissipe la charge induite. Cela évite des ruptures ou des arrachements. De plus, il produit plus de bois dans les zones les plus sollicitées, blessé ou altérée. C’est pour cela que certaines branches horizontales sont plus ovales de rondes ou que les collets ont des contreforts imposants. Le bois sert également au transport de la sève brute des racines vers les feuilles.

L’ECORCE : UNE PROTECTION. Le bois d’un arbre est intégralement enveloppé par son écorce. C’est sous l’écorce que sont distribués des brindilles aux racines la sève élaborée permettant, chaque année, dans les zones tempérées, de produire d’un côté du bois (un cerne) et de l’autre de la nouvelle l’écorce. Cette nouvelle écorce, produite chaque année, recouvre les blessures et permet leurs cicatrisations.

LES FEUILLES : C’est l’usine de production de matières premières : elles élaborent à partir de la lumière, du gaz carbonique et de l’eau, des sucres qui seront distribués dans toute la plante.

LES RACINES et le chevelu racinaire absorbent l’eau et les éléments minéraux grâce aux mycorhizes, champignons symbiotiques. Les grosses racines servent également d’ancrage à l’arbre, c’est pourquoi, il ne faut jamais les sectionner.

L’ETETAGE →pourriture→ risque de rupture→abattage. Lors d’une agression, l’arbre émet, à l’endroit de la plaie des substances produisant une « zone de barrage » au développement des champignons pathogènes. Si la plaie est modeste et la plante vigoureuse, tout va bien, les maladies sont sous contrôle et le parasite ne se développe pas. Mais si la plaie est énorme, disproportionnée, la plante a beau essayer d’isoler la plaie, de la refermer, l’agression est trop importante. L’arbre s’épuise, il s’affaiblit, il dépérit, il pourrit. Après plusieurs années, plusieurs décennies, il devient possiblement dangereux.

LE DIAGNOSTIC D’UN ARBRE
Avant toutes interventions, il est judicieux de faire un diagnostic. Il est de 3 ordres :
- le diagnostic environnemental : les contraintes extérieures à l’arbre, une route, une maison, un réseau, le taux de fréquentation sous l’arbre.
- le diagnostic physiologique : la santé de l’arbre, la détection de maladies, de parasites mais aussi son développement, sa vigueur,
- le diagnostic biomécanique, sa solidité, la détection de défauts pouvant provoquer une rupture, un arrachement (une fissure, une cavité importante, une pourriture…).
Ces diagnostics sont complétés par une approche paysagère, patrimoniale, par le rôle social et écologique de l’arbre. C’est à partir de tous ces critères, des risques éventuels d’accident, que l’on est en mesure de prendre la meilleure décision.

www.arbres-caue77.org/medias/files/...protection-des-alle-es-d-arbres-l350-3-code-env.pdf
www.arbres-caue77.org/pages/conseils/elagage   –  fiches « arbre en questions »
www.arboristes-sequoia.com -  Cercle de qualité de l’arboriculture ornementale
www.sfa-asso.fr  -  Société Française d'Arboriculture
www.arbres.org/l-association-a-r-b-r-e-s.htm -  Arbres Remarquables: Bilan, Recherche, Études et Sauvegarde
www.gecao.fr  - Groupement des Experts Conseil en Arboriculture
www.andarbre.com  - ANDA | Association Nationale de Défense de l’Arbre
https://arbusticulteurs.com  - Pour une bonne gestion des arbustes
https://lapetiteloiterie.fr - Arboretum de La Petite Loiterie - Un parc pédagogique



Bibliographie :
    • Du bon usage des arbres : Un plaidoyer à l'attention des élus et des énarques – Françis Hallé – Acte Sud
    • L'arbre - Au-delà des idées reçues - Christophe Drénou - IDF
    • Face aux Arbres - Apprendre à les observer pour les comprendre  de Christophe Drénou (Auteur), Georges Feterman (Photographie) - Ulmer