mardi 25 juin 2024

Organisation et vie des hameaux au Nord du Périgord du Grand Siècle à la Révolution.

Le paysage au Nord du Périgord depuis les 17e et 18e siècles a bien changé. Ce que nous

apprend la carte de Belleyme : La forêt était moins étendue, les vignes couvraient tous les coteaux bien

exposés et surtout les sables à galets des plateaux, les fonds et bords de vallée étaient cultivés.

Grâce aux registres paroissiaux, on peut apprécier l’évolution de la population, essentiellement

paysanne dans les villages et les hameaux. La population ne cesse d’augmenter du 16e siècle au 19e

siècle. Ainsi dans le village de Milhac on passe du Moyen-âge au 19ème siècle de 300-400 habitants à

près de 1800 habitants malgré une espérance de vie faible. Mais aux 17e et 18e siècles, des famines ou

des épidémies affectent encore la population : retour de la peste en Périgord en 1628, mais aussi

famines déclenchées par « les grands hivers » de 1698-1699 puis 1709-1710 qui provoquent une

surmortalité comprise entre 500 000 et 1 000 000 de morts à l’échelle de la France et une sous-natalité

pendant ces périodes de disette. L’effondrement final de la démographie paysanne en Périgord comme

ailleurs, viendra avec l’industrialisation, la crise du phylloxera, le développement des moyens de

transport et l’exode des populations vers les villes ; cet effondrement se poursuit encore actuellement

avec l’absence de rentabilité de l’agriculture, pour l’élevage en particulier, et la désindustrialisation des

gros bourgs.

Hormis les classes dominantes de la noblesse et du clergé qui ont la main mise sur les terres par la

propriété éminente, les privilèges dont ils jouissent, les fruits des métairies, redevances et fermages

dont ils bénéficient de la part des censitaires qui ont la propriété utile de la terre (les exploitants

effectifs), la campagne du 17e siècle est dominée par des paysans aisés (ceux qu’on voit dans les

tableaux des frères le Nain) qui exploitent leurs terres avec l’aide d’une multitude de manouvriers,

laboureurs à bras et journaliers pauvres et sans terre, valets et servantes). Ces propriétaires-paysans

sont ceux qu’on appelle souvent les « coqs de village » relativement riches, possédant un domaine,

achetant des métairies et dont les descendants sont souvent lettrés, voire instruits. Ils pourront acheter

des charges dans la magistrature, occuper des postes subalternes dans l’armée et les instances

gouvernantes (conseillés du « roy », procureur, avocat, notaire royal, sénéchal, chirurgiens…). Leurs

constructions sont aussi remarquables. Pour la plupart elles sont issues du mouvement de construction

ou de reconstruction du début du 17e siècle, conséquence du ravage des guerres de religion en

Périgord, avec la dégradation de nombreux édifices religieux, de leur patrimoine culturel (iconographie

et statuaire) et de bon nombre de constructions civiles issus de la Renaissance.

A Milhac le destin des familles Vidal, Pourten, Lacoste, Fourichon, Pichon, Desmoulières sont de bons

exemples de ces familles aisées issues de la paysannerie. De plus, ces familles ont une réussite

financière telle que, peu à peu, celle-ci leur permet une ascension dans la hiérarchie sociale jusqu’à la

noblesse (voir Ribault de Laugardière,1884, pour l’ascension de la famille Pourten). De plus, leur

aisance financière leur permet de réaliser des alliances bien au-delà du village d’origine à la différence

des simples manouvriers. Ils marient leur fils ou leur fille à des classes supérieures de la magistrature

et de la petite noblesse. La famille Vidal du village de Piogeat en est un exemple représentatif depuis

la fin du 16e siècle jusqu’au milieu du 18e siècle. Les mariages se font associant la richesse du conjoint

issu du monde paysan aisé à un fils ou une fille peu dotée (ce n’est pas l’aîné de la famille) mais issu

d’une classe sociale supérieure. Ainsi les mariages successifs de la famille Vidal se feront dans toute la

région et non pas au sein du village, avec des familles de la magistrature et des petits nobles, comme

les de Bordes de Cornille (près de Périgueux), les Roux de Saint-Front, les Lambertye de Menet (en

Angoumois), les La Roussie de La Pouyade (de Sceaux-Saint-Angel) et jusqu’aux Fayolle de Tocane.

Certains des fils ou fille rejoignent le clergé en devenant prêtre ou moniale avec dons au couvent

(argent et métairie) et pension à vie. Mais cette pension reste faible par rapport aux filles de la noblesse

entrant au couvent (10 fois plus élevée dans la famille de La Marthonie vers 1650), leur position ne

pourra être la même au sein du couvent.

Outre les actes inscrit dans les registres paroissiaux, nous avons pu consulter les riches archives de la

famille La Roussie de la Pouyade dans lesquelles nous avons trouvé les contrats de mariage, notamment

celui d’Albert Vidal datant de 1597 permettant d’évaluer les dons et promesses faites par les deux

familles et le mode de gestion des biens en cas de succession précoce de l’époux et de l’épouse. La

règle de la séparation de biens est présente ainsi que celle de l’usufruit des parents. Les promesses de

don en argent ou des bénéfices d’une métairie font abstraction des aléas de la vie et des variations

climatiques. Tout semble bien se passer pour le vice-sénéchal Albert Vidal lors de sa succession dont

nous apprenons les modalités dans son testament de 1627. La règle de l’héritier universel est de

rigueur mais les autres enfants bénéficient quand même de dons soit pour leur mariage soit pour leur

entrée dans le clergé. Il n’en est pas de même lors de la succession de son fils le prêtre Jean Vidal de

Fousseyraud en 1680. Celui-ci n’a pas d’héritier direct et ce sont un frère et une nièce et son époux qui

contestent le testament dont l’exécuteur Pierre Vidal de Laschenaud est le cousin germain du prêtre.

Des compensations sont réclamées car la nièce n’a jamais reçu sa dot en totalité. Les procédures vont

se succéder pendant des années, un constat des biens du prêtre est établi. Celui-ci nous permet

d’apprécier les modestes biens de ce prêtre mais aussi les productions de la ferme de Fousseyraud en

ce temps-là et le rapport global de ce domaine (supérieur à 300 L), notamment la part prépondérante

de la vente de vin et de froment (30% du revenu). Ces problèmes de succession montrent à quel point

les promesses non tenues par manque de liquidité peuvent conduire à l’appauvrissement des héritiers

restés dans la paysannerie à l’inverse de ceux qui ont des charges dans la magistrature.

La religion est toujours au centre de la vie des campagnes durant le 17e et le 18e siècles. La vie des

paysans est réglée sur le calendrier des saints et des fêtes religieuses. On demande dans les testaments

un obit à perpétuité en souvenir du défunt et des messes. Des processions et prières sont organisées

pour échapper aux calamités. Tous les actes font référence à Dieu, aux saints, à la vierge Marie, aux

évangiles en particulier pour les contrats de mariage et les testaments devant notaire royal. Dans les

constructions, des symboles religieux sont gravés pour obtenir la protection divine du lieu et des

habitants. Le testataire réalise des dons pour l’entretien de l’église, pour la construction d’une chapelle

supplémentaire attenant à l’église. C’est le cas pour les Vidal et ils auront ainsi le droit d’être ensevelis

dans le sol de cette chapelle avec leurs épouses sur trois générations, ainsi que pour la famille alliée

des Pichon du Gravier (maîtres de forges), et ce jusqu’à la Révolution. Comme la noblesse et le clergé,

ils obtiennent ainsi ce droit d’ensevelissement dans l’église ou au sein des abbayes (les Faurichon de

Labardonnie).

Au 18e siècle, il semble que la propriété éminente des nobles est de moins en moins suivie, les droits

perçus liés aux privilèges sont de plus en plus réduits. Aussi la noblesse rachète-t-elle des domaines à

la faveur de successions surtout quand les héritiers n’occupent plus le domaine qui a été placé depuis

de nombreuses années en fermage ou métayage. C’est le cas du domaine de Piogeat à Milhac-de-

Nontron. Le Comte Lambertye de Menet, étant héritier d’Isabeau Vidal, vend ce domaine aux Chapt de

Rastignac de Puyguilhem. Piogeat n’est plus le fief familial après 1757 et devient ainsi une simple

borderie dirigée par un régisseur, son rachat agrandit le domaine seigneurial.

Avec la Révolution, dans chaque village en 1789 est organisée une réunion de préparation des Etats

Généraux, avec rédaction d’un cahier de doléances et désignation de députés représentant le village

pour l’assemblée de Périgueux. Il est clair que la bourgeoisie locale rédige les doléances et les députés

désignés en seront issus. Une faible part des villageois signent le procès-verbal de la réunion car la

proportion des paysans sachant écrire est encore très faible. La chute de la royauté et la fin des

privilèges vont remodeler totalement la société. Les biens du clergé sont vendus en 1791 et les biens

des émigrés à partir de 1793. Les abbayes et leurs domaines sont ainsi dispersés aux enchères. Les

abbayes seront en totalité ou partiellement détruites, perte irrémédiable d’un patrimoine culturel et

historique comme les abbayes de Peyrouse, de Saint-Pardoux, de Bochaud, du couvent des Clarisses à

Nontron et même de certaines églises datant de l’époque romane. Il en sera de même des domaines

fonciers des émigrés comme les Faurichon de la Bardonnie à Croze ou les métairies de Monsieur de

Champagnac sur le territoire de Milhac. Les grands bénéficiaires de ces ventes seront issus de la

bourgeoisie locale aisée (63% de notables, 85% en valeur des biens achetés) mettant la main sur plus

de 10% du territoire de Milhac. Malgré le bouleversement affectant le clergé et la religion, les athéistes

verront leur désir contrarié par Robespierre lui-même qui inventa le culte de l’Etre Suprême. Mais très

vite le désir d’un retour à la religion traditionnelle du peuple paysan fut plus fort, c’était sans doute

oublier que l’Homme dans toutes les civilisations a toujours eu besoin de croyances religieuses. Après

la Révolution, sont ainsi jetées les bases de la nouvelle société du 19e siècle dominée par la bourgeoisie

et l’Organisation et vie des hameaux au Nord du Périgord du Grand Siècle à la Révolution

Par Bernard PLATEVOET


Francis Le Goyet- St- Front la Rivière.