samedi 16 juin 2018

L'élu, le jardin et la bibliothèque


Chronique d'une démolition : Première Saison , la triste fin d'un beau jardin .

        Il était une fois... Il n'y a pas si longtemps, dans la rue principale de Nontron, une très belle cour avec ses deux piliers , son portail en fer forgé et son petit jardin accueillait ceux qui passaient par là avant d'entrer dans le bâtiment .(1)

 L'ancienne Ecole Professionnelle de Nontron était devenue une annexe du Collège, les classes et ateliers se trouvaient derrière . Ne cherchez pas : de cet ensemble il ne reste que la Bibliothèque, la Maison des Livres, lieu plein d'Histoires et de Rêves....
        Quant au reste ? Que peuvent de vieilles pierres lorsque l'Elu inspiré par une rénovation moderne et goudronnante annonça son projet : « Nous allons faire un beau parking ! » Ainsi fut dit, ainsi fut fait, et l'Ecole fut rasée, place aux voitures .
         Et cette jolie petite cour qu'est-elle devenue ? Dans une petite ville les lieux de Culture tiennent à peu de choses . Un mercanti vint jérémier qu'on refaisait les trottoirs et qu'il ne pouvait plus garer son véhicule, là, devant Son magasin . L'Edile reçut sa plainte .
         Que peut un petit jardin contre la furie parkingesque ? La petite cour qui devrait aujourd'hui inviter à la lecture et à la rêverie fut elle aussi livrée au bulldozer et au goudron . Pour 1 2 3 4 5 6 7 8 places de parking : pour caser huit véhicules tout fut détruit .
                    Si le progrès consiste à améliorer le cadre de vie des citoyens
                    le dégrader  est forcément une régression .
         Ne resta plus qu'un petit bout de terre ou furent plantés de sympathiques végétaux, offrant fleurs et verdure . Ils ne s'en sortaient pas mal, surtout la belle Azalée .


                                       Deuxième saison :, la fin des arbustes .


        Cet îlot de verdure déplut, quelqu'élu en prit ombrage . Il y avait là... quelque chose de trop, trop de rêve, trop de liberté, un petit ferment d'anarchie . Sait-on jamais, peut-être soupçonna-t-on ce bout de terre rescapé du désastre initial, de vouloir repartir à l'assaut du goudron ? Bref, il fallait faire du radical, on le fit . Tabula rasa, on effaça les traces, on arracha on maçonna et l'on vit sortir de terre deux grandes jardinières où furent  disposées quelques plantes .
        Les unes, se le tenant pour dit, se firent discrètes pur se faire oublier .
        Les autres, ricanates, s'éparpillèrent croyant jouer les herbes folles .



   Hélas, ce n'était pas fini !

                                  Troisième saison : on achève bien les rosiers .


      Derrière la Bibliothèque – on aurait pu faire plus gai et plus luxuriant- une pelouse et deux rectangles de rosiers entourés de buis . Ce modeste jardin à la française était bien agréable dès le mois de Mai, lorsque les roses s'éveillaient . On allait à la Bibliothèque en attendant le moment où les rosiers allaient jouer leur petite partition pendant le mois des rosiers . Las ! Ce fut le coup de grâce ! Plus de rosiers : ne reste qu'une terre décharnée, on dirait une tombe fraîchement creusée . (2)
     Une rose peut apprivoiser un Petit Prince, mais que peut-elle contre un Elu acharné à sa perte ?



                     Le mois de juin, c'est le mois des jardins .
      Un sinistre pressentiment me saisit tout à coup : ça ne s'arrêtera pas là, ils vont continuer . Tant de petits lieux plantés et fleuris qui tiennent leur place depuis longtemps, que vont-ils devenir si nous ne sommes plus capables de veiller sur eux ? La brigade des éradicateurs de jardins va-t-elle continuer à sévir ? Allons-nous avoir une saison 4,5,6....
      Ceci n'est pas anodin . Avec le patrimoine bâti, les squares et les jardins racontent leur petite histoire, celle d'un espace public aménagé pour le plaisir de la promenade, de la détente, de l'évasion, des lieux ouverts à tous pour se poser ou se reposer, un espace de liberté et de poésie où nous allons à notre tour sur les pas de ceux qui nous les ont imaginés et réalisés . Il faut les préserver pour que chacun puisse continuer à raconter sa petite histoire dans l'Histoire de sa ville .

        La où le sol s'est enlaidi, là où toute poésie a disparu du paysage,
        les imaginations s'éteignent, les esprits s'appauvrissent, la routine
        et la servilité s'emparent des âmes et les disposent à la torpeur et
        à la mort . Elysée Reclus .


(1) Impossible de trouver une photo de cette cour, détruite en 1990 . Sur la carte postale on aperçoit les piliers et les grilles .
(2) De gentilles fleurettes et quelques légumes sont depuis venus prendre la place des rosiers . Décidément l'hiver ne sera pas gai .

Ils ont tracé les petits chemins où s'invitent les roses :
Jacques Dutronc, avec son « Petit Jardin »
Le Petit Prince de Saint Exupéry
Elysée Reclus avec son « Histoire d'un Ruisseau »
Eric Rohmer, cinéaste : » L'Arbre, le Maire et la Médiathèque »
Gilles Clément, le Jardinier Planétaire, amoureux des herbes folles
Et tout ceux qui seraient prêt à soulever le goudron pour remettre les petits jardins à la place des parkings : sous le goudron, il y a toujours de la terre .

Nicole Cazenave . Juin 2018  



Nicole Cazenave . Juin 2018