jeudi 21 septembre 2023

Un « café citoyen » consacré à l’alcoolisme.

 CDD Périgord Vert en Ribéracois


Le 12ème café citoyen, organisé conjointement par le CDD Périgord Vert et le Café Pluche, a réuni environ 25 participants, le vendredi 1er septembre. Jean-Luc Pujols, organisateur et animateur de cet évènement avait convié trois intervenants : Isabelle Roberty, œnologue et formatrice à la MFR de Vanxains, très impliquée sur la prévention, et deux « alcooliques abstinents », selon leur propres termes, Pierre et Sophie. Une addictologue du Centre hospitalier de Vauclair n’a pu se rendre présente.

C’est tout d’abord Isabelle qui nous dresse un panorama historique du lien très fort entre le Vin et les Français. Nos premiers contacts avec le Vin remonte à la Gaule envahie par l’Empire romain, dans les premiers siècles de notre ère. La consommation de vin est chez les romains un élément de réussite sociale. Les envahisseurs venus du Nord contribueront à l’essor du vin. Le christianisme en fera un symbole fort, associé à la culture de la vigne par de nombreuses congrégations religieuses. De la Renaissance à la fin de l’Ancien Régime, aristocrates et membres du haut-clergé possèdent leur propre vigne.  Les vignobles se développent alors en France et un puissant négoce du Vin se met en place. Au début du XXème siècle, le phylloxera (puceron venu d’Amérique du Nord) va détruire la majorité du vignoble français qui sera ensuite replanté à partir de nos colonies d’Afrique du Nord.

Depuis le début de la révolution industrielle, se développe un discours positif sur le Vin, qui rend fort, qui est bon pour la santé, et notamment pour l’ouvrier, le soldat, le paysan, le mineur...qui ont besoin de force. En parallèle du Vin, on assiste depuis quelques dizaines d’années au développement de la consommation de la Bière.

Les usages évoluent, et si la consommation moyenne de Vin est en France de 130 litres par an et par habitant en 1975, elle « n’est plus que » de 40 litres en 2022. Entre temps le titre en alcool moyen a dû passer de 8/9° à 12/13°. 

Mais le coût social de l’alcool et des excès de sa consommation alerte les Pouvoirs Publics qui vont lancer des campagnes grand public d’appel à la modération, en s’appuyant notamment sur la loi EVIN, du nom de son instigateur, ministre de la santé d’un gouvernement Rocard, loi relative à la lutte contre l’alcoolisme (et le tabagisme) qui règlemente la publicité de l’alcool (et du tabac).

500 000 personnes travaillent en France dans le domaine du Vin.

Pour limiter l’effet des campagnes appelant à la modération de la consommation, un puissant lobby en faveur du Vin s’organise, sous l’égide de « Vin et Société », selon qui « 97% des français consomment du vin raisonnablement ».

Les producteurs de Vin et plus largement d’alcool n’ont pas à supporter son coût social (contrairement au tabac), et les taxes sur vin, bière et cidre sont très faibles. 

Le Chiffre d’affaires de la viticulture s’élèverait entre 15 et 20 milliards d’euros, auxquels on peut ajouter celui des spiritueux (4,4) et de la Bière (2,5).

On est très loin du coût social de l’alcool estimé à 115 milliards d’euros (selon le Haut Conseil à la Santé publique) !

Après ce panorama qui suscite un fort intérêt des participants, la parole est donnée à Pierre puis Sophie, qui vont l’un et l’autre, avec pudeur et sincérité, nous faire partager leur parcours. Témoignages poignants.

Tout d’abord Pierre. Tout commence à l’adolescence avec l’alcool festif, d’abord les samedis soirs, dans un contexte familial favorable, jusqu’au jour où Pierre s’aperçoit qu’il commence à boire seul, puis en cachette, puis qu’il contrôle de moins en moins sa consommation, qu’il boit dès le matin. Jusqu’au jour où...il s’effondre après avoir touché le fond, frôlé la mort. C’est le déclic, le sursaut, ce qu’il appelle un réflexe vital. Volonté de passer à l’abstinence. C’est difficile. Seul, on ne peut pas. Désintoxication, aide d’addictologue, participation à un groupe de parole type Alcoolique anonyme (AA). Pour Pierre l’alcoolisme est une maladie, dont on ne guérit jamais complètement, et de conclure « je ne suis pas responsable de mon alcoolisme, mais je suis responsable de mon abstinence ». Pierre est biologiste de formation, et il enseigne aujourd’hui en lycée les sciences de la vie et de la terre. Il poursuit avec d’autres ce combat et c’est le sens du témoignage très fort qu’il nous livre. Merci Pierre !

Vient ensuite Sophie. Issue d’un milieu aisé, bourgeois, elle évoque tout d’abord une adolescence heureuse. Mais elle est hyper-émotive, et découvre assez tôt que le fait de boire l’aide à faire face. Etudes supérieures, puis carrière à l’étranger, réussite professionnelle... mais elle garde une sensibilité à fleur de peau et la consommation de vin l’aide. Séparée de son mari, elle travaille à New-York, au siège des Nations-Unies. Gros job, gros salaire, mais toujours l’aide du vin, de bons vins, des vins chers, consommés souvent seule. Elle ne laisse rien paraître, mais organise sa journée en fonction du verre qu’elle pourra boire. Gueule de bois le matin, dépendance, déni, mensonges, consultation d’une psy...jusqu’au jour où le déclic se produit. Le problème c’est l’alcool, une méthode radicale s’impose, ce sera une cure de désintoxication de 30 jours. Mais on fait comment en sortant, alors que l’alcool est omniprésent dans la société ? Elle fera 2 mois supplémentaires et trouvera l’aide précieuse des groupes AA très présents aux US. Sophie trouve l’accompagnement post-cure très limité en France. Ne pas rester seule ! Aujourd’hui, Sophie vit en Charente où elle restaure une maison, tout en restant mobilisée sur cette maladie sournoise. Merci Sophie !

De nombreuses questions de l’assistance et autant de témoignages de proches d’alcooliques qui poseront notamment la question « Que faire face à un proche alcoolique ? ».  Réponse unanime, hélas pas grand-chose, les discours moralisateurs ne servent à rien, si ce n’est « le détachement avec amour », formule qui à la fois nous surprend et nous interroge...

 

Propos retranscrits par Paul Brejon- Administrateur du CDD Périgord Vert